Friday, 30 April 2010

Deux lettres de Farzad Kamangar

Lettre de Farzad Kamangar, Enseignant emprisonné condamné à mort.

Le but de cette lettre

 n’est pas de souligner les problèmes des Kurdes et de nier les inégalités existant parmi les Baloutches, les Turcs, les Persans et les Arabes. En étant sympathiques avec eux, en se comportant en camarades, on les considère comme des minorités religieuses ou ethniques et on reconnaît ainsi leurs souffrances. Nous aussi faisons partie du peuple.

L’histoire kurde, c’est l’histoire d’une femme qui n’obtient dans son mariage qu’insultes et coups. Quand on demande à son mari : « Vous ne payez pas vraiment ses dépenses, et vous ne lui donnez aucune preuve d’amour, alors pourquoi la battre et l’humilier quotidiennement ? » Il répond : « Si je ne le fais pas, comment savoir que je suis son mari ? »

Notre histoire maintenant. Dans le discours politique iranien général, les mots Kurdes et Kurdistan signifient malheureusement séparatisme et ont des connotations antirévolutionnaire et contraire à la sécurité régionale, comme si les mots Kurdes et Kurdistan étaient des invités non désirés et n’avaient aucune affinité avec l’Iran.

La province du Kurdistan est devenue la base de certains malheurs. Le peuple kurde est privé de beaucoup de droits de base, économique, social et culturel. Le sous-développement historique de la province a produit la pauvreté, le chômage et la désillusion du peuple kurde.

Bien que les Kurdes, patriotes et aimables, aient opté pour une vie paisible en Iran de façon récurrente et n’aient revendiqué que leurs droits de base, la réponse à leurs demandes légitimes a été l’accroissement des incarcérations politiques et civiles, l’exil et les exécutions. C’est le résultat de la perception négatives et des préjugés habituels contre le peuple kurde.

La présence de minorités ethniques et raciales en Iran et dans le reste du monde n’est pas un nouveau phénomène. La pluralité ethnique, raciale et culturelle dans la société est une arme à double tranchant. Quand une région se développe et que des relations justes et égalitaires existent dans la société, la cohabitation des diverses ethnies n’est, non seulement pas problématique, c’est un enrichissement culturel pour cette société. Elle augment la tolérance et réduit les dogmes culturelles et l’étroitesse d’esprit de la société. Aujourd’hui, à l’heure de la globalisation, où beaucoup de sociétés se sentent menacées par l’ombre de monotonie culturelle, le multiculturalisme est un don qui doit être protégé et chéri.

Dans le même temps, quand les dirigeants d’une société ne prêtent pas attention aux besoins et droits légitimes des minorités, il est inévitable qu’il y ait des conséquences importantes. L’un des droits de base auquel tous les Iraniens, Kurdes ou pas, ont droit, c’est la citoyenneté. C’est un droit qui s’oppose à l’isolement et à l’exclusion, deux sentiments qui proviennent de l’influence des réalités tangibles de la vie quotidienne, de la pauvreté à la lueur qui s’éteint dans les yeux d’un enfant famélique, depuis le père embarrassé par ses poches vides à la table vide du dîner familial, jusqu’aux joues pâles et au regard miséreux d’une mère.

L’isolement vient d’une approche centralisatrice et sépare les problèmes et les besoins du peuple kurde (la population marginale) de ceux des populations des régions centrales.

Bien sûr, les sentiments d’exclusion, d’isolement et d’aliénation ne se limitent pas aux minorités ethniques quand le sous-développement et la mauvaise gestion dominent la société. Ces sentiments affectent plus ou moins tous les membres de la société. Mais, en raison des inégalités structurelles, ils ont des implications plus profondes pour les minorités.

Le sentiment d’isolement donne, dans tous les groupes, de la tension et des troubles, particulièrement en cas de pauvreté culturelle, conséquence de la pauvreté économique. Pour une fois, pourquoi ne pas oublier l’approche sécuritaire pour s’occuper des problèmes basiques du peuple On pourrait ainsi résoudre les problèmes une fois pour toutes. Mais il y a d’autres problèmes.

N’existe-t-il pas d’autre solution civique pour combattre la contrebande que de tirer ou de tuer ? Si les besoins financiers personnels de base sont remplis, un jeune risquerait-il sa vie pour passer en contrebande une boîte de thé ou quelques rouleaux de tissu ? Suivant la même politique aux critères doubles, l’approche sécuritaire mise en œuvre contre les prisonniers politiques et civils kurdes est sévère.

[Note du traducteur : l’une des seules sources de revenus de la population kurde frontalière et la contrebande et la revente de produits en Iran. Les forces de sécurité et les militaires tirent, blessent et tuent chaque année beaucoup de pauvres]

Les Kurdes doivent-ils continuer à porter l’étiquette de minorité ethnique même en prison, même dans les châtiments, ressentir les sentiments sombres d’isolement et d’exclusion ? Y a-t-il vraiment une différence entre un prisonnier kurde et un non kurde pour que le premier soit privé de beaucoup de droits reconnus par la loi comme l’accès à un avocat, la libération conditionnelle, la réduction de peine, l’amnistie ou la liberté ? Pourquoi, alors que la clémence a fait son apparition pour les prisonniers politiques de Téhéran et de quelques autres grandes villes (c’est-à-dire qu’ils sont libérés, ce qui est une source de grande joie et je souhaite que cela continue) l’attitude dure et stricte envers les prisonniers kurdes persiste-t-elle ? Au lieu d’essayer de résoudre les problèmes, la politique générale continue de tourner autour de la répression et des exécutions.

Malheureusement, certains utilisent la situation géographique de la province du Kurdistan comme prétexte pour justifier l’approche sécuritaire. Le régime continue la pression et la répression des prisonniers politiques et civils. Il exécute à l’occasion des prisonniers qui sont essentiellement des otages et des boucs émissaires plus que des prisonniers purgeant une peine pour un crime commis.

Combien de temps cette vue sécuritaire perdurera-t-elle alors qu’elle a causé malheurs et divergences dans la jeunesse kurde ?

La population kurde victime a choisi la méthode la plus raisonnable pour résoudre ses problèmes : une vie non-violente. L’approche sécuritaire des Kurdes et du Kurdistan ne sous-entend-elle pas que le peuple kurde est séparé de l’Iran et des Iraniens et doivent donc être traités comme des non Iraniens ? Je souhaite vraiment que cela cesse sinon, cela produira de la violence, une conséquence qu’aucun esprit sain ne vent accepter.

J’espère la fin du traitement [discriminatoire] des prisonniers kurdes. En traitant de la même façon tous les prisonniers, on avancera (même si ce n’est qu’un petit pas) dans la résolution des problèmes de la région. Je souhaite que l’histoire des Kurdes ne ressemblera pas à celle de la femme dont le mariage se résume aux maltraitances quotidiennes que son mari lui inflige.

Farzad Kamangar

Prison d’Evine, 10 avril 2010

Publié parHRANA (Human Rights Activists News Agency)
Traduction du Persan en Anglais : Siavosh J. | Persian2English.com

Farzad Kamangar, instituteur condamné  à mort, a écrit une lettre aux autres instituteurs emprisonnés. La lettre suivante a été publiée par l’Agence de Presse des Militants des Droits Humains (HRANA).
« Soyez forts, camarades »
Il était une fois une maman poisson qui avait pondu 10.000 œufs. Seul un petit poisson noir avait survécu. Il vivait dans un ruisseau avec sa mère.
Un jour, le petit poisson dit à sa mère : « Je veux m’en aller d’ici. » Sa mère demanda : « Pour aller où ? » Le petit poisson répondit : « Je veux aller voir le bout du ruisseau. »
[Note du traducteur : Le Petit Poisson Noir est le titre d’une nouvelle pour enfants. L’histoire a été écrite en 1967 par l’instituteur dissident Samad Behrangui. Le livre a été interdit sous le régime du Shah. Il raconte l’histoire et les aventures d’un petit poisson noir qui n’observe pas les lois de sa communauté et part pour découvrir la mer. En chemin, il se bat courageusement contre des ennemis. Ce conte est un classique de la littérature iranienne de la résistance]
Salut, compagnons de cellule. Salut compagnons de souffrance !
Je vous connais bien : vous êtes l’instituteur, le voisin des étoiles de Khavaran*, les copains de classe de douzaines de personnes dont les écrits étaient en annexe de leurs procès, l’enseignant de ceux dont le crime était des pensées humaines. Je vous connais bien : vous êtes les collègues de Samad et d’Ali Khan. Vous vous rappelez bien de moi ?
[Note du traducteur : Khavaran est un cimetière à l’est de Téhéran où beaucoup d’opposants exécutés dans les années 80 ont été enterrés dans des fosses communes]
C’est moi, enchaîné à la prison d’Evine.
C’est moi, l’écolier tranquille, assis sur les bancs brisés de l’école, aspirant à voir la mer alors que je suis dans un village écolier du Kurdistan. C’est moi, qui, comme vous, a raconté les contes de Samad à ses écoliers, au cœur des montagnes de Shahou [au Kurdistan].
C’est moi qui aime reprendre le rôle du petit poisson noir.
C’est moi, votre camarade du couloir de la mort.
Maintenant, les vallées et les montagnes sont derrière lui et la rivière traverse une plaine. De gauche, de droite, d’autres rivières se sont jointes à elle et l’eau est maintenant abondante dans la rivière. Le petit poisson aime que l’eau soit abondante… le petit poisson voulait aller jusqu’au fond de la rivière. Il pouvait nager tout son soûl sans se cogner.
Soudain, il repéra un grand groupe de poissons, 10.000 et l’un d’entre eux dit au petit poisson noir : « Bienvenue dans la mer, camarade ! »
Chers collègues emprisonnés ! Est-il possible de s’asseoir derrière le même bureau que Samad, de regarder les enfants de ce pays dans les yeux et cependant de se taire ?
Peut-on enseigner et ne pas indiquer le chemin vers la violence aux petits poissons du pays ? Qu’importe qu’ils viennent d’Aras [rivière au nord-ouest de l’Iran en Azerbaïdjan], du Karoun [rivière au sud-ouest de l’Iran au Khouzestan],du Sirvan [rivière du Kurdistan] ou du Sarbaz Roud [rivière du Sistan-Baloutchistan] ? Qu’importe puisque la mer est notre destinée commune pour nous unir tous ? Le soleil est notre guide. Nous serons récompensés par la prison, d’accord !
Est-il possible de porter le lourd fardeau de l’enseignement, d’être responsable de semer les grines du savoir et de cependant se taire ? Est-il possible de voir les bouchées traverser la gorge des écoliers, d’être témoin de leurs visages émaciés et faméliques et de se tenir tranquille ?
Est-il possible de vivre cette année sans justice ni équité et de s’abstenir d’enseigner le E de l’Espoir, le E de l’Egalité, même si ces enseignements vous font atterrir à la prison d’Evine ou vous conduisent à la mort ?
Je ne peux concevoir enseigner au pays de Samad, de Khan Ali et d’Ezzati et ne pas rejoindre l’éternité de l’Aras*.Je ne peux concevoir être témoin de la douleur et de la pauvreté du peuple de cette terre et ne pas donner nos cœurs à la rivière et à la mer pour qu’elles rugissent et débordent.
[Note du traducteur :l’Aras est une rivière au nord-ouest de l’Iran formant la frontière avec l’Azerbaïdjan. Samad s’y est noyé l’été 1968. Certains ont considéré suspectes les circonstances de sa mort et ont accusé les agents du régime du Shah de sa mort]
Je sais qu’un jour cette route rude et inégale sera pavée pour les enseignants, et les souffrances que vous aurez endurées seront une marque d’honneur pour que chacun voit qu’un enseignant est un enseignant, même si son chemin est barré par le processus de sélection*, la prison et l’exécution. Le petit poisson noir, mais pas le héron, ont décerné cet honneur à l’enseignant.
[Note du traducteur : le processus de sélection ou Gozineh est destiné à écarter les enseignants et d’autres fonctionnaires sur les bases de leurs points de vue idéologies, politiques et religieux]
Le Petit Poisson nageait calmement dans la mer et pensait : Ce ne m’est pas difficile d’affronter la mort, ce n’est pas regrettable non plus.
Soudain, le héron plongea et attrapa le petit poisson.
Grand-mère Poisson finit son histoire et dit à ses 12.000 enfants et petits-enfants qu’il était l’heure de se coucher. 11.999 petits poissons lui souhaitèrent bonne nuit et allèrent au lit. La grand-mère aussi alla dormir. Un petit poisson rouge n’arrivait pas à dormir. Ce poisson était perdu dans se pensées.
Un enseignant du couloir de la mort, prison d’Evine.
Farzad Kamangar
Avril 2010
Explication de Farzad Kamangar sur le titre de sa lettre:
Il y a huit ans, la grand-mère de l’un de mes écoliers, Yassin, du village de Marab écoutait la cassette de l’histoire de l’enseignant Mamousta Ghoutabkhaneh. Elle me dit ensuite : « Je sais que ton sort, comme  celui de l’enseignant qui a écrit et enregistré ce poème, c’est d’être exécuté ; mais sois fort camarade». La grand-mère a prononcé ces paroles tout en tirant sur sa cigarette et en regardant les montagnes.

Traduction: Siavosh J. | Persian2English.com

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